Preuves cliniques et d’efficacité des thérapies digitales : un manque d’harmonisation à l’échelle européenne

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Les thérapies digitales nécessitent des preuves cliniques robustes et en quantité suffisante pour garantir leur efficacité, leur sécurité, et leur adoption par les systèmes de santé. Mais il n’y a pas de cadre harmonisé à l’échelle européenne.

État des lieux des preuves requises pour les thérapies digitales en Europe

Preuves cliniques

Comme pour un médicament, pour qu’une thérapie digitale soit adoptée par les systèmes de santé européens, elle doit passer par des processus rigoureux de validation clinique. Ceux-ci incluent des essais cliniques randomisés (ECR), des études d’observation, et des métanalyses, qui doivent démontrer l’efficacité, la sécurité et le rapport coût-bénéfice de la thérapie.

Par exemple, en France, pour qu’une thérapie digitale soit prise en charge par la Sécurité Sociale, elle doit être inscrite sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR), après une évaluation rigoureuse par la Haute Autorité de Santé (HAS).

Cependant, la nature même des thérapies digitales, souvent basées sur des algorithmes adaptatifs ou des technologies évolutives, complique ces évaluations.

Selon une étude de 2021 publiée dans Digital Medicine, seulement 38 % des thérapies digitales soumises à des essais cliniques parviennent à produire des données suffisantes pour passer à la phase suivante de développement. Certaines thérapies digitales, bien que prometteuses, peinent alors à franchir ces étapes de validation clinique. Un constat particulièrement vrai pour les thérapies utilisant l’intelligence artificielle, où la variabilité des résultats en fonction des données d’entraînement rend les preuves de sécurité et d’efficacité plus complexes à établir.

Etat des modèles de preuve en Europe

  • Allemagne (DiGA) : les entreprises ont un an pour prouver leur efficacité clinique dans la pratique réelle avant de pouvoir prétendre à un remboursement permanent.
  • France (PECAN) : le cadre PECAN cible les DTx plus complexes, classées IIb ou III, avec une attention particulière portée à leur capacité à améliorer l’organisation des soins ou à fournir des avantages cliniques significatifs. Ici aussi, une période transitoire d’un an est accordée pour évaluer l’impact réel avant un remboursement pérenne.
  • Royaume-Uni (EVA) : le Royaume-Uni évalue les DTx par le biais de son programme « Early Value Assessment » (EVA), qui se concentre sur l’efficacité clinique et l’impact économique des technologies avant de décider de leur intégration dans le système de santé publique.
  • Belgique (Pyramide mHealth) : la Belgique adopte une approche unique avec la « Pyramide mHealth », qui classe les DTx en fonction de leur fonctionnalité et de leur conformité. Seules les DTx de niveau supérieur, qui permettent un diagnostic ou un traitement à distance, peuvent prétendre à un financement.
  • Italie : malgré un cadre légal favorable dans le PNRR (Plan National de Relance et Résilience), aucune DTx n’a encore été commercialisée ou remboursée. Certaines DTx sont en phase de développement, mais l’absence d’un cadre d’évaluation bien défini limite leur intégration​.

Selon certaines analyses, environ 50% des DTx évaluées dans le cadre du DiGA n’ont pas réussi à obtenir un remboursement permanent en raison d’un manque de preuves suffisantes concernant leur efficacité clinique après l’année d’essai. Ce pourcentage peut varier selon les sources et les types de thérapies évaluées.

Preuves auprès des patients

En France, les preuves basées sur les retours d’expérience des patients (patient-reported outcomes, PRO) sont devenues essentielles.

Selon un rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS) publié en 2021, 70 % des thérapies digitales évaluées en France ont intégré des PRO dans leurs études cliniques pour mieux cerner l’impact sur la qualité de vie des patients et l’observance thérapeutique.

Ces preuves incluent questionnaires, interviews, et des études qualitatives qui permettent d’affiner les protocoles d’intervention digitale en fonction des besoins réels des patients.

Preuves auprès des professionnels de santé

L’acceptation par les professionnels de santé est un autre critère essentiel. En France, l’intégration de ces thérapies dans les pratiques cliniques repose souvent sur des preuves fournies par des études pilotes ou des programmes d’évaluation en vie réelle (Real World Evidence, RWE).

Selon un rapport de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) en 2021, plus de 60 % des thérapies digitales en cours d’évaluation en France ont utilisé des données RWE. Ces études visent à mesurer l’impact des thérapies digitales sur la charge de travail, la satisfaction des professionnels de santé, et les résultats cliniques.

Un exemple concret est le programme ETAPES (Expérimentation de Téléconsultation pour l’Amélioration des Parcours En Santé), qui a montré que 75 % des professionnels de santé impliqués ont perçu une réduction de la charge de travail administrative grâce à l’adoption de thérapies digitales, tout en maintenant une qualité des soins équivalente voire supérieure.

Cependant, ces approches peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre, créant ainsi des disparités dans la manière dont ces preuves sont collectées et utilisées.

Le manque d’harmonisation : une limite au développement global des thérapies digitales

Plusieurs initiatives existant pour tenter d’harmoniser les preuves exigées. Le projet EDiHTA (European Digital Health Technology Assessment) par exemple, en préparation, vise à harmoniser les approches et les processus d’évaluation des technologies de santé numérique, y compris les DTx.

Incohérences dans les critères d’évaluation

L’une des principales limites au développement des thérapies digitales en Europe réside dans le manque d’harmonisation des critères d’évaluation. Chaque pays membre de l’Union Européenne a ses propres exigences en matière de validation clinique et d’évaluation des preuves, créant ainsi un paysage fragmenté.

Cette situation complique non seulement la reconnaissance mutuelle des thérapies digitales entre les pays, mais également leur mise sur le marché à l’échelle européenne.

Obstacles à l’innovation et à l’adoption

Ce manque d’harmonisation a des répercussions directes sur l’innovation dans le domaine des thérapies digitales. Les startups et les entreprises innovantes sont souvent confrontées à des coûts élevés pour satisfaire des réglementations différentes dans chaque pays, ce qui peut freiner leur croissance et limiter l’accès des patients à ces innovations. Les incohérences dans les approches d’évaluation peuvent également créer une certaine méfiance parmi les professionnels de santé et les patients, qui pourraient être réticents à adopter des thérapies dont l’efficacité est validée selon des critères non standardisés.

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Sources :

TechToMed. (2024, 10 juillet). DTx France© 2024 – table ronde « DTx Worldwide : a global picture of positive trends & perspectives » [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=tOg0-ndrrnY

Techtomed. (2022, 3 mars). Accès au marché en europe des dtx. Importance de l’evidence clinique, des data et role des patients – TechToMed. TechToMed.

Haute Autorité de Santé (2021). Évaluation des technologies de santé : rapport annuel.

European Journal of Health Economics (2022). Cross-Country Comparison of Digital Therapeutics Evaluation Criteria.

Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) (2021). Rapport annuel sur l’intégration des thérapies digitales dans les pratiques cliniques.

Ministère des Solidarités et de la Santé (2022). Programme ETAPES : Bilan et perspectives.

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