Ecouter l'article
Getting your Trinity Audio player ready...
|
Suffit – il d’informer pour changer les comportements santé ? La « prévention » telle qu’historiquement effectuée, à savoir diffuser les bons comportements santé, est-elle encore efficace ? Retour sur les données disponibles en matière d’efficacité sur les changements réels de comportements santé.
Susciter le déclic et informer pour changer les comportements santé : les deux chouchous des politiques de santé
Les politiques de santé publique ont été,avec une efficacité bien plus notable sur les maladies transmissibles que sur les maladies non transmissibles, centrées sur deux axes : provoquer un déclic (accompagner l’intention ou la susciter) et informer. Sous l’appellation prévention, ces politiques ont toutefois connu des effets parfois faibles sur les changements de comportements santé.
Pourtant, si on analyse ces politiques, leurs impacts réels sur les comportements santé se situent aux alentours des 10 % (Wood, 2021). Un gain déjà notable, mais aujourd’hui insuffisant au regard des enjeux pour notre système de santé.
Prenons deux exemples connus : celui du tabac et de l’alimentation, vous trouverez dans cette publication la part des habitudes liées à ces comportement santé
Informer pour changer la consommation de tabac
20 ans. Est-ce la durée nécessaire pour changer un comportement santé avec des campagnes de sensibilisation ?
Si l’on en croit l’exemple américain sur le tabac, il faudrait même plus de temps. Entre 1952 et 1973, 70 % des américains ont été sensibilisés à l’impact de la cigarette sur la santé.
Ils étaient pourtant encore 40 % à fumer dans les années 2000, 15 % aujourd’hui. A titre de comparaison, 28 % des européens fument aujourd’hui.
Plusieurs expérimentations menées sur l’impact de la sensibilisation sur les comportements ont montré que, si les messages sont retenus, ils n’en sont pour le moins pas appliqués.
Informer pour changer l’alimentation
L’information permet-elle de changer les comportements ? Pas vraiment d’après Wendy Wood. Qu’il s’agisse d’informer les ménagères américaines sur des alternatives à la viande (« le seul programme gouvernemental ayant entraîné un changement durable dans le régime américain » d’après charles duhigg) ou de la consommation d’énergie, aucun type de comportement n’est épargné.
Exemple du compteur électrique : deux groupes différents, l’un avec uniquement un SMS prévenant que les tarifs augmentaient le lendemain, l’autre avec un SMS de prévenance et un accès au compteur permettant de voir où la consommation était répartie.
Résultats : le groupe 1 a réduit sa consommation de 7 % alors que le groupe a réduit sa consommation de 22%.
Et cette information est-elle toujours utile dans le temps ? Pas vraiment, si l’on en croit les études analysées par Wendy Wood.
Exemple sur le Nutriscore avec une étude menée sur 7 000 patients : en 2007, ils étaient 51 % à voir le Nutriscore affiché. Mêmes conditions, 7 ans plus tard, les chiffres tombent à 37 % de visibilité.
Et les Français dans tout ça ?
Si l’on dresse le bilan des politiques publiques de santé en France, le constat semble identique. Nous nous appuyons ici sur une analyse menée par La grande conversation en novembre 2022, qui a comparé les politiques publiques dans trois domaines : tabac, alcool et sécurité routière.
Car si la France se classe bonne élève dans certains domaines, dans ces trois catégories, elle fait plutôt figure de mauvaise élève.
Impact des politiques publiques sur le tabac en Europe
D’après la grande conversation, les campagnes d’information ont peu de succès. Avec des politiques similaires, la France se classe moins bien que l’Angleterre et l’Australie. Même les campagnes qui incluent un premier RDV comme le mois sans Tabac ne semblent pas avoir un impact durable.
Exemple sur la politique Mois sans Tabac, dérivée du Stoptober britannique initié en 2021 : 12 477 personnes au lancement contre 350 000 Britanniques (Source : Sante publique France, 2019).
Notons tout de même que le mois sans tabac a, depuis sa création, réussi à embarquer 1,8 millions de personnes, soit un taux de tentative d’arrêt compris entre 2 et 4% (peu de données sont disponibles sur les résultats effectifs de la campagne). (Source : Sante publique France, 2019).
6 fumeurs sur 10 désirent arrêter, mais une minorité seulement y parvient sans aide extérieure (Comité national contre le tabagisme, 2023).
Après analyse des cinquante dernières années de politiques sur le tabac, ne semblent avoir eu le plus grand impact que les politiques de santé travaillant les frictions ( W. Wood, 2021) : les mesures d’interdiction de fumer dans les lieux publics et les augmentations significatives du prix du paquet ont été celles qui ont généré les plus grosse diminution du nombre de fumeurs.
A noter que si les hausses ne sont pas assez significatives, elles n’amènent pas de résultats. Avec une hausse de 23% du prix du paquet, le nombre de fumeurs diminue de 2,5 %. Du coté des Etats-Unis, une augmentation de 10 % du paquet réduit le tabagisme de 4 % chez les adultes.
Cette règle de la friction s’applique aussi bien au tabac qu’à d’autres comportements. Exemple : mettre en place une taxe sur les boissons sucrées induit une variation de consommation comprise entre 5 et 10 % en Californie comme au Mexique. Une règle tout aussi valable pour l’alcool.
Impact des politiques publiques sur la consommation d’alcool en France
Malgré une lame de fond et des mesures phares (loi Evin notamment, campagnes sur les dangers de l’alcool), la France demeure l’un des pays d’Europe où l’on boit le plus : 11,4 litres d’alcool pur par an et par personne de plus de 15 ans en 2019.
Comment alors rendre une politique efficace ? Pour le comité national contre le tabagisme (Comité national contre le tabagisme, 2023), impliquer un professionnel de santé augmente les chances de 70 %.
Pour Wendy Wood, il faut donner les moyens d’agir sur les habitudes, qui constituent 43 % de nos comportements santé (jusqu’à 48 % pour la sédentarité). Et pour agir sur les habitudes, plusieurs leviers sont à actionner.
Sources de cet article :
Charles Duhigg, Le pouvoir des habitudes, 2012
Dan Usher, « Measuring Real Consumption from Quantity Data, Canada 1935-1968 », in Household Production and Consumption , éd. Nestor Terleckyj, New York, National Bureau of Economic Research, 1976.
Tentatives d’arrêt du tabac pendant l’opération Mois sans tabac (2016-2019) : résultats des Baromètres santé de Santé publique France, Romain Guignard, Arnaud Gautier, Raphaël Andler, Noémie Soullier, Viêt Nguyen-Thanh, 2021
Bonnes habitudes, mauvaises habitudes – Wendy Wood, Editions Alisio, 2021
Bas Verplanken et Wendy Wood, « Interventions to Break and Create Consumer Habits », Journal of Public Policy and Marketing , 25, no 1, 2006, p. 90-103 ; David T. Neal, Wendy Wood et Jeffrey M. Quinn, « Habits – A Repeat Performance », Current Directions in Psychological Science , 15, no 4, 2006, p. 198-202